Il a à cœur de donner à tous des outils efficaces pour mieux gérer ses émotions et vivre au présent.
Les consignes de confinement sont assez radicales. On voit sur les réseaux sociaux des photos de rayons dévalisés. Nous avons l’impression de perdre tous nos repères. Est-ce que vous constatez que les gens sont davantage anxieux ?
La semaine dernière, je recevais une patiente que je vois en consultation depuis quelques temps parce qu’elle a de fortes angoisses, notamment pour sa santé. Son anxiété s’est accentuée à cause des événements récents. Pour l’instant, ce sont les patients qui ont une inquiétude particulière par rapport à la santé que j'ai vu affectés, mais cela va sans doute changer dans les jours à venir. Quand les gens vont voir concrètement les conséquences de la crise (comme les queues dans les supermarchés , les services de réanimation embolisés ou des proches touchés), l’anxiété va augmenter. Or plus nous sommes anxieux, moins nous voyons les choses rationnellement, et plus nous sommes vulnérables aux fake news.
Il faut donc être particulièrement prudent dans la période qui s’ouvre.
Quels sont vos conseils pour rester le plus paisible possible dans cette période si particulière ?
Pour diminuer notre niveau de stress face à cette pandémie, je pense que nous pouvons agir à deux niveaux : au niveau cognitif et au niveau émotionnel.
Je m’explique.
Au niveau cognitif : je vous invite à
être très attentif à vos sources d'informations. Il faut en effet être soigneux sur les sources qu'on va rechercher et ne pas se laisser prendre par de fausses informations qui circulent dans les réseaux sociaux ou dans notre cercle proche (comme par exemple ce chercheur qui aurait accès à des infos cachées et qui est un ami d’ami...). Ces fausses informations sont renforcées dans les réseaux sociaux par ce qu’on appelle des bulles de filtrage. Cela constitue des sortes de bulles de pensées qui s'auto-renforcent : on est pris dans des informations partagées par des gens qui pensent comme nous et qu’on croit. Ces informations sont souvent saupoudrées de théories du complot, peuvent être faussement rassurantes ou trop paniquantes. Il faut se baser uniquement sur des informations fiables. Personnellement, je fais confiance aux experts de la direction générale de la santé qui prennent en compte les éléments factuels et je leur fais confiance sur les mesures qu’ils prennent et sur la façon dont ils anticipent les événements.
Je vous invite donc à ne pas passer votre vie devant des écrans de télévision ou sur votre smartphone : les informations y sont répétées en boucle et parfois déformées, cela ne sert donc à rien et peut aggraver votre état d’anxiété. (Note de Peppsy :
et si vous sentez que vous êtes accro à votre smartphone et ne pouvez pas vous en empêcher, vous pouvez jeter un coup d'oeil sur ce parcours de désintox).
Au niveau émotionnel, il faut essayer de rester au maximum dans notre fenêtre de tolérance, c’est-à-dire dans cet espace émotionnel dans lequel nous nous sentons en sécurité
(un article viendra bientôt pour l'expliquer plus en détail). Si nous sommes dans un niveau de stress trop élevé, nous n’avons plus la capacité à voir les choses clairement. Nous sommes en mode de défense instinctive: je suis par exemple dans le déni (c'est pour faire passer leurs réformes, mais on va pas se laisser avoir...) ou bien je suis pris dans des réactions de combat (c'est tous des salauds, ils n'ont pas pris les bonnes mesures à temps). Je peux aussi vivre des réactions de désespoir complètement disproportionnées par rapport au risque réel, vivre des réactions de panique (queues dans les files d'attente : la peur de manquer, il faut remplir quelque chose, faire quelque chose). C'est dommageable car les réactions de panique participent au problème. Tous les outils de régulation émotionnelle sont précieux pour rester dans sa fenêtre de tolérance.
La difficulté particulière de la situation actuelle réside dans le fait que les émotions se régulent dans nos liens d'attachement, mais quand cela doit se faire à distance, cela rend les choses plus difficiles. Même si on peut s'appeler en vidéo - nous racontons ainsi des histoires à nos petites filles pour soulager leur maman et avoir un temps sympa avec elles - cela ne remplace par complètement la rencontre en chair et en os.
Pour les personnes qui paniquent, que leur conseillez-vous ?
Pour apaiser les moments de panique (comme le cœur qui s'emballe, une agitation confuse, un sentiment de malaise profond, des pensées irrationnelles (je suis sûr que je l'ai...)), le mieux c'est de pratiquer la respiration anti-panique
(nous vous montrerons bientôt une vidéo, patience ! ).
Dans un deuxième temps, quand l’état du corps est stabilisé, que la panique est moins forte, il faut s'orienter dans le présent.
Je vous propose une méthode simple qui s'appelle le dé-stress
: il s’agit d’occuper au maximum la mémoire de travail pour occuper nos pensées, ce qui évite une spirale qui « monte en mayonnaise » et qui nous entraîne vers la panique.
Comment se passe cet exercice ?
C’est tout simple. Je prends une pause, je m’arrête. Puis je nomme trois choses que je vois, que j'entends, que je sens dans mon corps. Je lève le pouce, l'index et le majeur quand je compte.
Exemple : un, je vois ma bibliothèque, deux le fauteuil, trois la fenêtre... 1 j'entends ma voix, 2, mes pas sur le sol, 3 les voitures dehors... 1 je sens le pantalon sur mon corps, 2 le fauteuil sur lequel je suis assis, 3 l’air de la fenêtre entrouverte sur mon visage.
Cet exercice diminue le stress : la conscience de la réalité présente prend de plus en plus de place afin de ne pas être happé par des pensées anxiogènes.
D’autres pratiques peuvent aider : la méditation (
lire notre article et accéder aux podcasts), faire la check-list de nos ressources (les choses qui vont pouvoir nous aider, vous pouvez
lire cet article
pour avoir quelques idées). Si certaines ressources d'activités de groupe ne sont plus possibles, nous allons peut-être plus approfondir des ressources qui dépendent de nous ou des proches avec qui nous vivons. Le président de la république parlait de la lecture et de la culture. Il nous invitait d'une certaine façon à nous recentrer sur nos ressources internes. Il y a aussi toutes nos ressources spirituelles.
Comment consentir à quelque chose que je ne comprends pas ?
Oui, il peut être difficile d’accepter d’être confiné quand on ne comprend pas bien les enjeux de la pandémie. Cela pose la question du niveau de confiance qu'on a dans l'autre et dans les institutions. Il y a des personnes très blessées et traumatisées au niveau de la confiance, elles ont un a priori de défiance qui pose problème. C'est pour cela qu'il va y avoir des contrôles par les forces de l’ordre. C'est inévitable qu'il faille contrôler car tout le monde n’a pas le même niveau de confiance dans les institutions. Cela montre que le contrat de confiance avec la société n'est pas solide pour tous.
Il faut aussi regarder ce qui est positif. Dans les situations de catastrophes naturelles, les comportements altruistes et de solidarité augmentent beaucoup. Par exemple, en France, il y a un tel afflux de volontaires dans la réserve sanitaire que les hôpitaux n'arrivent pas à traiter toutes les demandes. A Bordeaux par exemple, ils ont dû dédoubler les cours pour tous les médecins ou paramédicaux qui se sont portés volontaires. Cet afflux de comportements altruistes est très encourageant et nous fait avoir confiance dans l'humanité.
Ce qui est intéressant, c’est que toutes ces situations ont été anticipées. Nous avons la chance d’être dans un pays bien préparé. On s’appuie sur des sortes de cadres préétablis pour réagir le mieux possible, comme le plan blanc qui permet de gérer les afflux brutaux dans les hôpitaux; il y a ainsi une série de procédures définies à l'avance pour faire face aux crises.
Mais une crise a toujours une part d'imprévisible, et elle met à l'épreuve nos capacités de résilience personnelles et collectives !
L'espoir est que nous en sortions plus solidaires, plus conscients de ce qui est essentiel pour nous, et que ce soit une opportunité de redéfinir notre modèle de développement.
Merci Emmanuel d'avoir répondu à nos questions.